
La mondialisation a transformé la structure des familles modernes, multipliant les unions entre personnes de nationalités différentes ou résidant dans divers pays. Cette réalité engendre une complexification majeure lorsque ces couples décident de mettre fin à leur union. Déterminer quelle juridiction peut prononcer le divorce, quelles lois s’appliquent aux effets patrimoniaux ou à l’autorité parentale devient un véritable défi juridique. Les conséquences pratiques sont considérables : délais de procédure, coûts, reconnaissance internationale du jugement, droits financiers et parentaux varient radicalement selon le pays retenu. Cette dimension internationale transforme un processus déjà éprouvant en un labyrinthe juridique aux enjeux stratégiques majeurs.
Les Principes Fondamentaux de la Détermination des Juridictions Compétentes
La détermination de la juridiction compétente dans un divorce international constitue la première étape fondamentale de toute procédure. Elle repose sur plusieurs critères de rattachement qui varient selon les systèmes juridiques. Le domicile conjugal, la résidence habituelle, la nationalité des époux ou le lieu de célébration du mariage représentent autant de facteurs pouvant justifier la compétence d’un tribunal.
Dans de nombreux pays, le principe de proximité guide cette détermination : le tribunal ayant les liens les plus étroits avec la situation familiale sera considéré comme le mieux placé pour trancher le litige. Par exemple, si un couple franco-allemand vit depuis dix ans aux États-Unis avec leurs enfants, les tribunaux américains pourront revendiquer leur compétence en raison de cette proximité factuelle.
Un phénomène particulier mérite attention : la « course au tribunal » (forum shopping). Cette pratique consiste pour un époux à saisir rapidement une juridiction dont les règles lui semblent plus favorables. Dans l’Union européenne, le Règlement Bruxelles II bis (remplacé depuis le 1er août 2022 par le Règlement Bruxelles II ter) a tenté d’encadrer cette pratique en instaurant la règle de priorité chronologique : le premier tribunal saisi conserve sa compétence, obligeant l’autre juridiction à se dessaisir.
Les conventions internationales jouent un rôle structurant dans ce domaine. La Convention de La Haye sur la reconnaissance des divorces et des séparations de corps (1970) établit un cadre pour la reconnaissance mutuelle des décisions. D’autres accords bilatéraux peuvent compléter ce dispositif entre pays spécifiques.
Les critères de rattachement objectifs
Parmi les critères objectifs déterminant la compétence juridictionnelle, on trouve :
- La résidence habituelle des époux
- La dernière résidence commune si l’un des époux y réside encore
- La résidence habituelle du défendeur
- En cas de demande conjointe, la résidence de l’un des époux
- La nationalité commune des époux (dans certains systèmes juridiques)
Ces critères s’appliquent selon une hiérarchie variable dépendant du système juridique concerné. L’articulation de ces différents facteurs peut créer des situations où plusieurs juridictions se déclarent simultanément compétentes, nécessitant alors des mécanismes de coordination internationale.
Le Cadre Européen : Un Modèle de Coordination Juridictionnelle
L’Union européenne a développé l’un des systèmes les plus sophistiqués de coordination juridictionnelle en matière de divorce international. Le Règlement Bruxelles II ter (applicable depuis le 1er août 2022) constitue la pierre angulaire de ce dispositif, remplaçant le précédent Règlement Bruxelles II bis.
Ce règlement établit sept critères alternatifs de compétence, sans hiérarchie entre eux. Ainsi, les tribunaux d’un État membre sont compétents si :
- Les époux ont leur résidence habituelle sur son territoire
- Les époux ont eu leur dernière résidence habituelle sur son territoire et l’un d’eux y réside encore
- Le défendeur a sa résidence habituelle sur son territoire
- En cas de demande conjointe, l’un des époux réside dans cet État
- Le demandeur réside dans cet État depuis au moins un an avant l’introduction de la demande
- Le demandeur réside dans cet État depuis au moins six mois et est ressortissant de cet État
- Les deux époux possèdent la nationalité de cet État
L’une des innovations majeures de ce système réside dans la règle de litispendance : lorsque des demandes ayant le même objet sont formées devant des juridictions d’États membres différents, la juridiction saisie en second lieu sursoit d’office à statuer jusqu’à ce que la compétence de la première juridiction saisie soit établie.
Cette règle vise à prévenir les procédures parallèles et les décisions contradictoires. Elle a toutefois engendré une « course au tribunal », certains époux s’empressant de saisir la juridiction dont les règles de fond leur sont plus favorables. Pour illustrer cette situation, prenons le cas d’un couple franco-italien : l’époux français pourrait avoir intérêt à saisir rapidement les tribunaux français si le droit français lui offre des conditions plus avantageuses en matière de prestation compensatoire.
Les coopérations renforcées en matière de loi applicable
Complétant ce dispositif, le Règlement Rome III (Règlement UE n°1259/2010) permet aux époux de choisir la loi applicable à leur divorce. Ce mécanisme de « coopération renforcée » ne s’applique pas à tous les États membres, mais concerne notamment la France, l’Espagne, l’Italie et l’Allemagne.
Ce règlement distingue le forum (la juridiction compétente) de la loi applicable, permettant par exemple à un tribunal français d’appliquer le droit allemand si les époux en ont convenu ainsi ou si leurs liens avec l’Allemagne sont prédominants selon les critères du règlement.
Les Approches Anglo-Saxonnes et leurs Spécificités
Les systèmes juridiques de common law, particulièrement ceux du Royaume-Uni et des États-Unis, présentent des approches distinctes concernant la compétence en matière de divorce international, avec des implications stratégiques majeures pour les couples binationaux.
Au Royaume-Uni, depuis le Brexit, le Règlement Bruxelles II ne s’applique plus. La compétence des tribunaux britanniques repose désormais sur le concept de « domicile » qui diffère substantiellement de la notion continentale de résidence habituelle. Le domicile en droit anglais comporte une dimension intentionnelle : il s’agit du lieu où une personne a établi sa résidence avec l’intention d’y demeurer indéfiniment. Cette notion peut conduire à des situations où une personne conserve son domicile d’origine britannique malgré une résidence effective à l’étranger depuis plusieurs années.
Les tribunaux britanniques sont réputés pour leur générosité envers l’époux économiquement défavorisé, notamment en matière de partage des biens et de prestation compensatoire. Cette réputation a fait de Londres la « capitale mondiale du divorce » pour les conjoints de personnes fortunées, créant un véritable forum shopping stratégique.
Aux États-Unis, la situation se complexifie davantage en raison de la structure fédérale du pays. Chaque État possède ses propres règles de compétence en matière de divorce. Généralement, les tribunaux américains exigent qu’au moins l’un des époux ait résidé dans l’État pendant une période minimale (souvent six mois) avant de pouvoir y demander le divorce.
La notion de « juridiction in rem » (compétence sur la chose) permet aux tribunaux américains de prononcer la dissolution du mariage même si l’un des époux ne réside pas sur le territoire américain. En revanche, pour statuer sur les aspects financiers ou la garde des enfants, une « juridiction in personam » (compétence sur la personne) est généralement requise, nécessitant que la personne concernée ait des liens suffisants avec l’État en question.
L’approche pragmatique du « forum non conveniens »
Une particularité des systèmes anglo-saxons réside dans la doctrine du « forum non conveniens« . Selon ce principe, un tribunal, bien que théoriquement compétent, peut décliner sa compétence s’il estime qu’un autre for serait manifestement plus approprié pour trancher le litige.
Cette flexibilité permet d’éviter certaines situations abusives de forum shopping, mais introduit une incertitude supplémentaire pour les parties. Dans l’affaire Spiliada Maritime Corp v. Cansulex Ltd, la Chambre des Lords britannique a établi que cette doctrine s’applique lorsqu’il existe un autre for clairement plus approprié pour l’intérêt des parties et une bonne administration de la justice.
Les Défis Pratiques et Stratégiques pour les Couples Internationaux
Face à la complexité des règles de compétence internationale, les couples binationaux doivent adopter une approche stratégique bien en amont de toute procédure de divorce. Cette anticipation peut faire une différence considérable dans l’issue de la séparation.
L’anticipation contractuelle constitue un premier niveau de protection. Les contrats de mariage ou les conventions matrimoniales peuvent inclure des clauses d’élection de for (choix de la juridiction compétente) et de loi applicable. Bien que ces clauses ne soient pas toujours reconnues pour les questions relevant de l’état des personnes dans certains systèmes juridiques, elles peuvent néanmoins orienter la décision du juge ou couvrir efficacement les aspects patrimoniaux du divorce.
La preuve de la résidence habituelle devient souvent un enjeu central des procédures. Rassembler des documents attestant de son intégration dans un pays (contrat de travail, bail, inscription des enfants à l’école, comptes bancaires, adhésion à des associations locales) peut s’avérer déterminant pour établir la compétence d’une juridiction spécifique.
Les délais procéduraux varient considérablement entre les pays : d’un divorce pouvant être prononcé en quelques mois dans certaines juridictions à plusieurs années de procédure dans d’autres. Cette disparité temporelle peut devenir un facteur décisif dans le choix stratégique du tribunal à saisir.
La reconnaissance internationale des jugements
Un aspect souvent négligé concerne l’exequatur, c’est-à-dire la procédure permettant de rendre exécutoire dans un pays un jugement rendu à l’étranger. Un divorce obtenu dans un pays peut se révéler difficile, voire impossible, à faire reconnaître dans un autre, particulièrement lorsque les différences culturelles et religieuses sont marquées.
Par exemple, un divorce prononcé en France sur le fondement de la loi française pourrait ne pas être reconnu dans certains pays appliquant le droit musulman si les conditions religieuses du divorce n’ont pas été respectées. Inversement, un talaq (répudiation unilatérale dans certains droits musulmans) ne sera généralement pas reconnu dans les pays occidentaux pour contrariété à l’ordre public, notamment au principe d’égalité entre époux.
Cette problématique de reconnaissance internationale peut engendrer des situations de « boiterie » juridique où une personne est considérée comme divorcée dans un pays mais toujours mariée dans un autre, avec des conséquences potentiellement dramatiques sur le remariage, la filiation ou les droits successoraux.
L’impact financier des choix juridictionnels
Les implications économiques du choix de juridiction sont souvent considérables. Les barèmes de pension alimentaire, les méthodes de calcul des prestations compensatoires, les règles de partage du patrimoine varient radicalement d’un système à l’autre.
- Dans les pays nordiques : approche égalitaire avec partage équilibré des biens et accent sur l’autonomie financière rapide des ex-époux
- Dans les pays anglo-saxons : large pouvoir d’appréciation du juge et potentielles compensations généreuses
- Dans les pays de tradition civiliste : variété de régimes matrimoniaux prédéterminant largement les conséquences patrimoniales du divorce
Ces disparités expliquent pourquoi le forum shopping reste une réalité incontournable des divorces internationaux, malgré les tentatives d’harmonisation des règles de compétence.
Vers une Harmonisation Mondiale des Règles de Compétence
Face aux défis posés par la multiplication des divorces internationaux, la communauté juridique internationale s’efforce de développer des instruments d’harmonisation. La Conférence de La Haye de droit international privé joue un rôle central dans cette démarche.
La Convention de La Haye du 1er juin 1970 sur la reconnaissance des divorces et des séparations de corps constitue une première étape. Bien que ratifiée par un nombre limité d’États, elle établit des principes fondamentaux pour la reconnaissance mutuelle des décisions de divorce, facilitant ainsi la circulation internationale de ces jugements.
Plus récemment, les travaux de la Conférence de La Haye se sont orientés vers l’élaboration d’un instrument plus ambitieux visant à harmoniser directement les règles de compétence. Cette approche se heurte toutefois à la réticence de nombreux États à abandonner leurs traditions juridiques nationales dans un domaine aussi intimement lié à leurs valeurs culturelles et sociales.
Des initiatives régionales comme le Protocole de La Haye de 2007 sur la loi applicable aux obligations alimentaires complètent ce dispositif en ciblant des aspects spécifiques des conséquences du divorce. Ce protocole, applicable dans l’Union européenne depuis 2013, unifie les règles de conflit de lois concernant les obligations alimentaires, contribuant ainsi à une meilleure prévisibilité juridique.
Les accords bilatéraux entre pays entretenant des flux migratoires importants représentent une autre voie pragmatique d’harmonisation. Ces conventions, comme celles liant la France au Maroc ou à la Tunisie, établissent des mécanismes spécifiques de coordination juridictionnelle et de reconnaissance mutuelle des décisions.
Le rôle croissant de la médiation internationale
Face aux difficultés inhérentes aux procédures judiciaires internationales, la médiation familiale internationale émerge comme une alternative prometteuse. Elle permet aux couples de trouver des solutions négociées transcendant les frontières juridiques, culturelles et religieuses.
La Convention de Singapour sur la médiation (2019) pourrait, à terme, faciliter la reconnaissance internationale des accords issus de médiations, y compris dans le domaine familial. Cette évolution marquerait un changement de paradigme, passant d’une approche conflictuelle centrée sur la détermination de la juridiction compétente à une démarche collaborative orientée vers la recherche de solutions adaptées à chaque situation familiale internationale.
Les technologies numériques offrent également de nouvelles perspectives pour surmonter les obstacles géographiques et faciliter tant les médiations à distance que les audiences judiciaires internationales. La pandémie de COVID-19 a accéléré cette tendance, normalisant les procédures juridiques à distance qui pourraient devenir un standard dans le traitement des divorces internationaux.
L’harmonisation progressive des règles de compétence en matière de divorce international représente un défi majeur pour la communauté juridique mondiale. Elle nécessite un équilibre délicat entre respect des spécificités culturelles et juridiques nationales et besoin de sécurité juridique pour les familles internationales. Si l’unification complète semble encore lointaine, les avancées régionales et sectorielles tracent la voie vers un cadre plus cohérent et prévisible pour les couples confrontés à la dimension internationale de leur séparation.